LE PROJET
La peau est la véritable interface de notre moi profond avec le monde extérieur. Elle est aussi une limite, un contenant, exprimant notre bien-être mais aussi nos souffrances.
La peau, fragilisée, devient alors le mauvais média, donnant une image corrompue de la personne. Le regard de l’autre se fausse, son interprétation aussi, la socialisation, l’estime de soi peuvent s’en trouver modifiées.
Artiste visuel, je me suis naturellement intéressé à la représentation de l’Homme, à ses beautés mais aussi à ses faiblesses. La peau est le vecteur de ces nombreuses expressions. J’ai alors souvent constaté une vision partielle, clinique, de la peau fragilisée. Dans les parutions sur les pathologies de peaux fragiles, on la présente sous forme de « pastilles », d’ « échantillons » de maladie.
J’ai voulu élargir ce regard, un regard global sur le malade, qui va au delà de l’échantillon, mettant en lumière simplement, dans un instant photographique, un portrait de peau. Le projet est aussi de présenter des témoignages sonores de patients en recueillant les mots qui racontent la Peau, la Vie qui l’accompagne et ainsi donner à entendre ce que leur peau dit « mal ».
Ce projet installe une relation avec le patient qui donne à voir qui il est, ce qu’il vit ou a vécu. Cette mise en lumière permet un rendu réel des matières de peaux. La peau est montrée dans la mesure décidée par le patient, accompagnée par mon interprétation artistique afin de témoigner de cet instant de don et de partage.
Se donner à voir, la personne au-delà de la maladie de peau
Réaliser des portraits est depuis des siècles une activité artistique intéressante. Elle l’est notamment pour les Sciences Humaines et Sociales. L’histoire et l’ethnologie les mobilisent pour mieux comprendre les sociétés anciennes et/ou différentes. Les mises en scène de soi et des autres révèlent les teneurs des relations humaines. Entre fascination et exploitation, entre exposition et oppression. Surtout, la notion même de portrait est riche et polyvalente d’un point de vue symbolique. Le « portrait craché » indique une lignée, une filiation, le « portrait chargé » confine à la caricature, le portrait « parlé » devient signalement pour la police et la justice, etc. Ces quelques indications rappellent que le portrait publicise. Il participe potentiellement au contrôle des populations (déviantes, stigmatisées, etc.).
Avec cette exposition l’un des objectifs était justement de contrer le stigmate de la maladie de peau. La marque visible de l’atteinte cutanée est contrebalancée ici par la présence manifeste d’une personne qui fait don de soi en s’exposant aux yeux de tous. Dans l’optique d’un regard bienveillant, les desiderata des personnes sont respectés. Regarder ou pas l’objectif, se couvrir une partie du corps ou non, choisir ses vêtements pour l’occasion, etc. La photographie expose sans marquer d’une étiquette négative la personne qui n’est plus réduite à son tableau clinique, à sa pastille épidermique malade. Le portrait devient si ce n’est « flatté », en tous les cas, flatteur. Le stigmate de la maladie est retourné.
Quelle belle initiative que cette bascule symbolique qui redonne humanité à une vie, à chaque vie, qui ne doit pas être diminuée…
Stéphane HAES, sociologue